Comprendre la Cholangite Biliaire Primitive (CBP)

Connue internationalement sous l’abréviation anglaise PBC (primary biliary cholangitis), la CBP ou cholangite biliaire primitive est une maladie inflammatoire du foie, chronique et rare, qui touche les petits canaux biliaires. Elle était précédemment nommée Cirrhose Biliaire Primitive car, quand cette maladie était moins connue, elle était découverte très tardivement, alors que le foie malade avait atteint le stade de la cirrhose. Aujourd’hui les traitements permettent de tenir la maladie sous contrôle.

Pour bien comprendre la CBP, il faut comprendre le rôle du foie et de la bile

Le foie est un organe de grande taille, situé principalement dans la partie droite de la cavité abdominale, sous les poumons. . Il représente à peu près 2 % de votre poids et pèse en moyenne 1,5 kg. Il se divise en 2 parties : le lobe droit qui représente environ 75 % de son volume total, et le lobe gauche, plus petit, donc.

C’est un organe fortement irrigué par le sang puisqu’il contient à chaque instant 10 à 15 % du volume sanguintotal de votre corps. Chaque minute, votre foie draine 1,5 litre de sang. Ce débit sanguin hépatique augmente lors du repas puis diminue lorsque vous dormez.

Les cellules du foie

Le foie est composé de plusieurs types de cellules permettant d’assurer ses fonctions. Les principaux types cellulaires retrouvés dans le foie sont :

  • les hépatocytes : ce sont les cellules majoritaires du foie. Ils ont un rôle essentiel dans la fabrication et la transformation des sucres, des graisses et des protéines, ainsi que dans l’élimination de substances étrangères, parfois toxiques.
  • les cholangiocytes : cellules participant à la sécrétion de la bile et tapissant les canaux qui la transportent à l’intérieur puis à l’extérieur du foie
  • des cellules du système de défense naturel (système immunitaire)

La bile : une aide précieuse pour le système digestif 

Le foie sécrète environ 0,6 litre de bile chaque jour. Elle est produite dans le foie par les hépatocytes (75 %) et les cholangiocytes (25 %). Ce liquide d’aspect jaune-vert participe activement à la digestion.

La bile est collectée dans le foie par les canaux biliaires, dits intra-hépatiques, puis circule en dehors du foie par les canaux biliaires dits extra-hépatiques (canal cholédoque). Elle est stockée dans la vésicule biliaire à jeûn puis est libérée dans le tube digestif avant et après les repas.

La bile est composée principalement d’eau (97 %), de graisses et d’acides biliaires.

Les acides biliaires facilitent la digestion et l’absorption des nutriments dans le tube digestif. Ils permettent notamment de rendre solubles les graisses d’origine alimentaire ainsi que toutes les substances qui ne se dissolvent que dans des graisses (molécules dites « liposolubles ») comme les vitamines A, D, E et Kcertains médicaments… Ainsi, la bile augmente le passage de ces nutriments dans la circulation sanguine.

La bile permet également d’assurer l’élimination du cholestérol et des substances de l’environnement étrangères à l’organisme et potentiellement toxiques pour celui-ci si elles n’étaient pas métabolisées puis éliminées dans la bile

Elle favorise aussi la sécrétion de molécules antimicrobiennes par l’intestin.

Qu’est-ce que la Cholangite Biliaire Primitive ?

Le Dr Corpechot explique la CBP dans cette video de 17 mn.

La cholestase : une anomalie de la sécrétion biliaire

La cholestase désigne l’arrêt ou la diminution du flux biliaire du foie vers l’intestin (stase = arrêt ou ralentissement ; chole = bile). La cholestase peut être d’origine multiple, soit liée à la présence d’un obstacle sur les gros canaux biliaires (par exemple : calcul, tumeur, sténose) (cholestase extra-hépatique), soit liée à l’inflammation ou à la destruction des petits canaux biliaires intra-hépatiques (cholestase intra-hépatique).

Qu’est-ce que la Cholangite Biliaire Primitive ?

La cholangite, une inflammation des canaux biliaires

La cholangite biliaire primitive est caractérisée par une inflammation puis une destruction des petits canaux biliaires intra-hépatiques. Cette inflammation biliaire est à l’origine d’une cholestase car la bile ne peut plus s’écouler correctement en dehors du foie. La bile va ainsi s’accumuler dans le foie, et entrainer des dommages sur l’ensemble de l’organe.

Qu’est-ce qui cause cette inflammation ?

La cause de l’inflammation des voies biliaires n’est pas connue. Il est probable qu’une combinaison de différents facteurs est à l’origine de la CBP. 

La CBP n’est pas une maladie génétique mais il existe certainement une prédisposition génétique favorisant l’apparition de la maladie. Ainsi, une personne est plus à risque de développer une CBP lorsqu’une personne de sa famille souffre d’une CBP. Les gènes favorisant la survenue d’une CBP ne sont cependant pas encore connus mais font l’objet de nombreuses études.

Certains facteurs environnementaux sont également soupçonnés de participer au développement de la maladie, comme le tabagisme, l’exposition à des toxiques ou des polluants (vernis à ongle, rouge à lèvre, chewing-gum). La survenue d’infections (urinaires, virales) pouraient également contribuer à l’apparition de la maladie.

Enfin, des facteurs hormonaux jouent certainement un rôle dans le développement de la CBP puisque c’est une maladie qui atteint dans 90% des cas des femmes, généralement à partir de 50 ans. La ménopause pourrait donc être impliqué dans cette maladie tout comme le nombre de grossesse ou l’utilisation de traitements hormonaux substitutifs de la ménopause.

Le mécanisme aboutissant au développement de la maladie n’est pas complètement élucidé mais plusieurs hypothèses sont évoquées. Une infection par une bactérie ou un virus pourrait déclencher une réaction inflammatoire inappropriée de l’organisme contre les canaux biliaires.

Une autre hypothèse pourrait être que l’inflammation des voies biliaires résulterait d’un mécanisme immuno-allergique comme on peut le voir dans d’autres circonstances, dans d’autres maladies telles que l’asthme, l’intolérance à certains médicaments. 

Une maladie auto-immune

L’inflammation des canaux biliaires intra-hépatiques est provoquée par votre système immunitaire. Celui-ci ne reconnait plus les cellules de vos conduits biliaires comme faisant partie de votre organisme et cherche à les détruire. Il s’agit donc d’une maladie dite « auto-immune ».

Qu’est-ce qu’une maladie auto-immune ?

Le système immunitaire permet de défendre l’organisme contre des agressions d’origine infectieuse ou toxique, notamment via la production d’anticorps. Parfois, le système immunitaire peut se dérégler et se retourner contre une partie de l’organisme qui n’est plus reconnue comme un constituant interne. Il s’agit de l’auto-immunisation.

Dans le cas de la CBP, les anticorps en cause se fixent sur des constituants internes des cellules biliaires – les mitochondries – chargés de produire l’énergie nécessaire à l’activité de ces cellules. La fixation des anticorps sur les mitochondries provoque une réaction inflammatoire conduisant à la mort de la cellule. Au stade précoce de la maladie, grâce à des mécanismes de compensation, les cellules détruites sont remplacées, expliquant l’absence de symptômes.

Une maladie évolutive

Progressivement, l’inflammation qui résulte de la réaction immunitaire va s’étendre et toucher d’autres groupes de cellules, comme les hépatocytes. Les conduits biliaires vont se boucher, les propriétés mêmes de la bile vont changer (concentration, acidification) et bloquer son écoulement, ce qui va encore augmenter l’inflammation.

Des conséquences graves en l’absence de traitement

Peu à peu, les mécanismes de compensation vont s’emballer et conduire au remplacement de zones entières du foie par des tissus inactifs, fibreux, semblables à ceux formant les cicatrices. On parle de fibrose du foie qui, lorsqu’elle est très importante et non traitée, conduit au développement d’une cirrhose.

La cirrhose peut entraîner une incapacité partielle puis totale du foie à remplir ses fonctions vitales : c’est l’insuffisance hépatique.

La cirrhose peut elle-même évoluer et donner lieu au développement d’un cancer du foie, le carcinome hépatocellulaire.

La prise en charge médicale est donc essentielle pour éviter ces graves complications. 

Qui est concerné par la CBP ?

La cholangite biliaire primitive peut affecter tous les individus quelle que soit leur race. Cependant, les femmes forment la majorité des patients puisqu’environ 9 patients sur 10 sont du sexe féminin. L’âge moyen de survenue est d’environ 50 ans. Les cas les plus précoces surviennent vers l’âge de 18 à 20 ans. La maladie peut s’exprimer après 70 ans.

La prévalence de la cholangite biliaire primitive (CBP), c’est-à-dire le nombre de cas dans la population, est de 10 à 40 personnes pour 100 000 habitants.

Chez les femmes de plus de 40 ans, elle atteint 1 femme sur 1 000. Le diagnostic doit en conséquence être envisagé devant des anomalies biologiques hépatiques découvertes chez toute femme de plus de 40 ans.

La CBP est encore plus fréquente dans les familles comportant déjà une personne souffrant de cette maladie, atteignant 4 personnes sur 100.

Quels sont les symptômes de la CBP ?

Dans sa phase initiale, pouvant durer plusieurs années, la maladie ne provoque généralement pas de symptôme. Plus de la moitié des diagnostics sont posés chez des personnes qui ne présentent aucune gêne particulière mais simplement une analyse sanguine indiquant une activité enzymatique anormale du foie.

Les symptômes apparaissent plutôt lors de la deuxième phase de la maladie, qui peut durer 5 à 10 ans. La fatigue et le prurit (démangeaisons) sont les plus souvent retrouvés.

• La fatigue affecte jusqu’à 8 patients sur 10. Elle pourrait être liée à l’accumulation de substances toxiques dans le cerveau. Elle a un impact important sur la qualité de vie. Elle peut entraîner des somnolences au cours de la journée, des troubles du sommeil, de la concentration, de la mémoire ou encore des troubles émotionnels.

• Le prurit est retrouvé chez la moitié des malades et touche le plus souvent les paumes des mains ou la plante des pieds. Il peut être sévère dans certaines formes de CBP à évolution rapide.

L’intensité du prurit ou de la fatigue n’est pas liée à la sévérité de la maladie et peut varier dans le temps.

D’autres symptômes existent comme un changement de la coloration de la peau, devenant plus foncée (jaunisse ou ictère), et l’apparition de petites boules de graisse blanches sous la peau, habituellement autour des yeux.

Lors de la troisième et dernière phase de la maladie, les symptômes sont liés aux complications de la cirrhose, notamment avec l’apparition d’ascite (liquide dans l’abdomen). Des hémorragies digestives peuvent survenir ainsi qu’une altération du fonctionnement du cerveau (encéphalopathie).

Comment fait-on le diagnostic d’une CBP ?

Des symptômes qui orientent

Un prurit une fatigue ou un ictère peuvent orienter le médecin vers le diagnostic de CBP mais ils ne sont pas spécifiques de la maladie. 

En cas de CBP, d’autres maladies auto-immunes peuvent être associés avec des symptômes propres à ces maladies : douleurs articulaires, sécheresse de la bouche ou des yeux, syndrome de Raynaud, des taches jaunes/beiges au coin de l’œil…

Des anomalies inexpliquées dans une analyse sanguine

L’élévation des taux sanguins de deux enzymes hépatiques, la phosphatase alcaline (PAL) et la gamma-glutamyl transpeptidase (GGT), est l’élément qui oriente le plus souvent votre médecin vers une maladie hépatique. Cette anomalie enzymatique traduit la cholestase définit par une diminution de l’écoulement de la bile. Dans les formes plus avancées de la maladie, la bilirubine est elle aussi augmentée.

La présence d’anticorps dans le sang 

En présence d’une cholestase, le médecin va ensuite procéder à d’autres examens. Il va rechercher la présence dans le sang d’anticorps anti-mitochondries (AAM) dits « anti-M2 ». Si le test est négatif, d’autres types d’anticorps peuvent être recherchés. L’association d’une cholestase et la présence d’anticorps suffit le plus souvent pour poser le diagnostic.

Évaluer le stade de la maladie

• Des informations rapides avec l’élastométrie

L’évolution de la CBP conduit au développement d’une fibrose du foie. Cette dernière peut être évaluée par élastométrie, une mesure de l’élasticité du foie. L’appareil utilisé crée une onde et mesure sa propagation qui va varier selon l’élasticité des tissus traversés. Cette technique, parfaitement indolore, est simple et rapide à réaliser. Elle donne des résultats immédiats et permet également de suivre l’évolution de la maladie.

• Une biopsie dans certaines situations

La réalisation d’une biopsie hépatique n’est généralement pas nécessaire pour confirmer le diagnostic de CBP.

La biopsie peut être parfois utile pour  déterminer le stade d’évolution auquel est parvenue la maladie et donc sa sévérité (disparition des conduits biliaires, présence de fibrose, …). Elle est aussi pratiquée en cas de suspicion de syndrome de chevauchement (overlap syndrome) pour déterminer s’il y a présence ou non de lésions caractéristiques d’une hépatite auto-immune en plus de celles de la CBP.

La CBP étant fréquemment associée à d’autres maladies (1 malade sur 3 présente une autre maladie auto-immune), l’équipe médicale va rechercher l’existence de maladies auto-immunes éventuelles : syndrome sec (syndrome de Sjögren), maladies de la thyroïde (Hashimoto) ou encore hépatite auto-immune (HAI)…

Les traitements de la cholangite biliaire primitive

L’objectif du traitement médical est avant tout de retarder l’évolution de la maladie en diminuant l’inflammation des canaux biliaires et en favorisant l’écoulement de la bile (médicament anti-cholestatique), ce qui permet de ralentir le processus de fibrose.

Différents types de traitements à base d’acides biliaires, d’immunosuppresseurs ou de corticoïdes sont disponibles. Leur utilisation est connue des médecins et suit certaines règles de prescription.

  • Les médicaments qui vous sont prescrits au début de votre prise en charge sont dits de « première intention ».
  • Si ces premiers médicaments n’ont pas donné de résultats satisfaisants, ils peuvent alors être remplacés ou être complétés par un autre traitement.

D’autres traitements peuvent s’ajouter à ce traitement essentiel. Ils peuvent vous être prescrits selon l’ampleur des conséquences de la CBP, des symptômes ressentis et de leur sévérité.

Le prurit (démangeaisons) est relativement fréquent. Il peut se traiter de différentes manières.

La cholestase entraine une carence en vitamines « liposolubles », notamment la vitamine D, essentielle au métabolisme des os. Sachant que la CBP augmente le risque d’ostéoporose, une supplémentation en vitamine D et en calcium peut vous être proposée.

D’autres traitements peuvent se révéler nécessaires, notamment en cas de maladie auto-immune associée. Si vous avez des questions sur vos traitements, n’hésitez pas à en parler avec votre médecin ou votre pharmacien.

Quand doit-on envisager une greffe de foie ?

Aucun des traitements qui viennent d’être présentés ne permet de guérir la CBP. Leur bénéfice est de maintenir la maladie sous contrôle et d’éviter une dégradation trop importante du foie. Seule la greffe de foie (transplantation hépatique) qui consiste à remplacer le foie défaillant peut véritablement guérir la maladie.

Elle peut être discutée dans des cas spécifiques, en cas de cirrhose sévère, de fonctionnement hépatique très altéré (taux sanguin de bilirubine élevé) ou exceptionnellement de prurit réfractaire et très invalidant. Mais une greffe reste un scénario très rare en cas de CBP.

Une surveillance régulière

La CBP est une maladie évolutive qui nécessite donc une surveillance régulière, même quand la maladie apparaît stable. Il est donc recommandé de consulter votre médecin spécialiste tous les 6 mois. Il évaluera votre état de santé, l’efficacité et la tolérance (présence ou non d’effets indésirables et leur intensité) de votre traitement. Il vous demandera de faire des analyses de sang régulières pour surveiller le fonctionnement de votre foie. Une fois par an, il évaluera le niveau de fibrose de votre foie par élastométrie (Fibroscan).

Si votre CBP a évolué vers une cirrhose, votre médecin devra pratiquer tous les 6 mois une échographie hépatique pour surveiller l’apparition d’un carcinome hépatocellulaire. Il peut réaliser aussi une gastroscopie afin de dépister d’éventuelles varices œsophagiennes liées à l’augmentation de la pression sanguine en amont du foie dont la circulation est gênée par la cirrhose. Une échographie peut enfin permettre de confirmer ou non la présence

Le livret Cholangite Biliaire Primitive : comprendre et gérer son quotidien, publié par le laboratoire Mayoly Spindler et l’association albi vous sera peut-être remis par votre médecin, mais vous pouvez le télécharger ici en PDF.  

> rédaction: PhDu, albi, le 10/10/2022
> révision le 23/03/23
> sources : Dr Soret, Pr. Poupon, Dr Corpechot, MIVHB, livret Grand Large